Ce jour-là n’était que le lendemain de la veille, la suite logique des jours de la semaine, un matin comme un autre. Elle s’était levée aux aurores et comme à chaque fois depuis peu, elle prit son café et un croissant seule dans la cuisine. Son regard se planta sur un vase aux couleurs ternies et craquelées par les années, ce vase était bien plus vieux qu’elle et ravivait bon nombres de souvenirs. Il l’avait accompagné depuis l’enfance, il avait survécu à ses maladresses, aux joies et aux malheurs de la famille Strauss. Il avait toujours trôné sur ce plan de travail, à côté de l’évier et proche de la fenêtre. A la lumière du jour pour le bien être de son contenu, des bouquets de fleurs diverses qui lorsqu’elles fanaient, changeaient de formes et de couleurs. Il y avait eu des roses, des violettes, des jonquilles et bien d’autres variétés que l’on trouvait chez le fleuriste où elle travaillait. Aujourd’hui elle en voyait tous les jours et de toutes les sortes, mais elle continuait de remplir le vase et de changer ses fleurs. Savourant son café, elle baladait son regard d’une fleur à l’autre, voyant encore les gestes habiles et soignés de sa défunte mère, qui à l’époque s’en occupait. Elle l’admirait, sa mère et avait longtemps cherché à lui ressembler. « Reste toi-même, Pearl. Les gens t’aimeront pour ce que tu es, pour ce que tu aimes vraiment. » Elle s’était consacrée dès lors au dessin et si elle ne pouvait pas lui ressembler, elle la dessinerait autant de fois qu’il lui plairait. Ce vase lui rappelait la douceur de sa mère et elle continuerait à en prendre soin. Un sourire illumina son visage et elle quitta la cuisine pour la salle de bain, il était temps de se préparer à partir, la journée serait longue.

Le ciel était dégagé et le soleil tapait sur ses épaules nues, une belle journée comme il y en avait souvent au district quatre. Pearl portait une de ses robes légères aux couleurs pastels, sa pochette à dessin sous le bras. Elle prit le chemin de la mer, une routine quotidienne dont elle ne se lassait pas. Elle semblait en bonne santé, elle mangeait bien et ne s’enfermait pas chez elle à longueur de temps, pourtant à l’intérieur elle n’en était pas moins changée. Elle était devenue discrète et indifférente aux autres, se retrouver seule de façon si brutale l’avait bouleversée.. Elle avait perdu ses parents une dizaine d’années plus tôt. Un accident de travail concernant son père.. Il était pêcheur et s’était blessé gravement lors d’une mauvaise manœuvre, la blessure s’étant infectée, il n’y avait pas survécu. Sa mère l’avait suivi l’année suivante, au cours de l’hiver. Malade depuis déjà bien des années et rongée par le chagrin, elle s’était quelque peu laissée mourir. Le frère et la sœur ne s’étaient jamais préparés à perdre leur deux parents à un intervalle si proche, mais Conrad s’occupait déjà si bien de sa petite sœur que leur mère s’en était allée rassurée. La mer lui rappelait son père, il passait le plus clair de son temps au port et sur les eaux calmes, elle s’imaginait parfois prendre le large à ses côtés jusqu’aux limites de l’horizon, qu’y avait-il tout au bout ? L’odeur salée lui rappelait tous ces moments passés à la plage, lorsque enfant elle venait s’y baigner et dessiner des cœurs dans le sable mouillé. Ici régnait une atmosphère apaisante, beaucoup de bons souvenirs s’y trouvaient et elle voulait s’y accrocher, même si cela l’empêchait d’avancer.. en quelque sorte. Elle resta une heure assiste au bord de l’eau avant de repartir, il serait bientôt l’heure d’ouvrir la boutique.

Elle se rendait chez le fleuriste en avance et passa par la grande place, une étape qu’elle ne pouvait contourner pour atteindre la boutique. Et avant même qu’elle ne s’en rende compte, elle ne pouvait déjà plus avancer, bloquée par tous ces gens qui affluaient sur la place. Un rassemblement ? Ce n’est que lorsqu’elle entendit l’écho d’une voix qu’elle en comprit la raison, le grand écran s’était allumé sur le visage maquillée d’une femme d’un certain âge. Elle avait du charisme et une attitude officielle, elle reconnut aussitôt le visage de la présidente Snow. Elle aurait voulu passer son chemin, mais sans doute était-elle obligée d’écouter. Si elle s’en allait, cela serait une preuve d’irrespect et les pacificateurs présents ne manqueraient pas de le lui faire savoir. Alors elle leva les yeux vers cette femme qui la répugnait, vers celle qui était la responsable indirecte de la mort de Conrad. La révolte avait été menée par sa faute et conduit à la mort de nombreux gens, cela était suffisant pour la jeune femme. Si détruire le district treize avait suffi aux districts pour se calmer, il n’en était guère de même pour les gens du Capitole. Sans doute outrés par l’attitude de tous ces bas gens de la société, ils avaient jugé utile de créer les Hunger Games. La blonde retint qu’il s’agirait de moissonner deux adolescents au hasard dans chaque district, une fille et un garçon, et de les envoyer se battre à mort dans une arène. Cette annonce provoqua le tumulte dans la foule, puis le silence retomba d’un coup. Mais Pearl n’avait pas tellement réagi, elle n’était pas étonnée d’une telle annonce et préféra finalement s’en aller à la fin du discours.

Les jeux ne la concernaient pas, de près ou de loin. Elle n’avait plus l’âge d’être désignée, elle n’avait plus de famille et concernant les autres, elle n’y pensait pas. Tout ce qu’elle avait en tête était Conrad. Cruellement, cette annonce lui avait fait revivre des scènes qu’elle aimerait oublier. Si elle n’avait pas prit les armes durant les jours sombres, elle n’était pas restée confinée chez elle pour autant. Elle avait assisté aux massacres et aux exécutions, des spectacles sanglants qui ne s’oubliaient pas si facilement. Encore moins lorsque ceux-ci impliquèrent son frère, qu’elle avait vu mourir sous ses yeux. La panique avait été telle qu’elle n’avait pas pu le rejoindre à temps, il rendit son dernier souffle avant qu’elle ne puisse le rejoindre. Elle aurait voulu être la dernière chose qu’il verrait, l’apaiser par sa présence, voir son sourire une dernière fois.. Des mois s’étaient écoulés depuis, mais elle y pensait tous les jours, en rêvait chaque nuit.. Son passé la suivait tel son ombre et les regrets s’accumulaient. Elle ne se sentait pas concernée par les jeux, alors elle en ignorerait les conséquences de cette annonce. Elle comprenait par quel mal passerait les familles et les jeunes, elle trouvait cela injuste et horrible comme tout le monde, mais la vie continuait. Cette indifférence ressentie à l’approche des jeux n’était due qu’à son changement de vie brutal. Elle avait toujours été très proche de son frère, il avait toujours été là pour elle et maintenant.. Il lui faudrait un peu de temps pour réaliser ce qu’il se passait vraiment, pour réaliser les impacts de ces jeux. Après tout, elle n’arrivait pas à voir ce que cela donnerait vraiment. Peut-être qu’après les premiers jeux, elle aurait un avis différent sur la chose.